Lorsqu’un puceau se masturbe, il est libre.
Il est libre de s’imaginer « ce que ça ferait d’être à la place » du mec qui retourne la gonzesse dans tous les sens. Un homme parfait procédant étape par étape, procurant du plaisir à une jeune fille tout aussi parfaite, jusqu’à finir en lui explosant dessus comme pour dire « j’ai gagné ».
Le puceau fantasme sur un cliché, voit un scénario idéal, une performance parfaite. Il attend son tour, s’est préparé durant ce long voyage dont il verra un jour le bout, cette fin si proche, synonyme du bonheur, de l’accomplissement.
Parfois, il se masturbera avec encore plus de fougue, lorsque l’homme le représentant à ce moment là s’avèrera être un vicieux dégoûtant ne sachant évidemment pas (s’y) prendre comme il faut (avec) la jeune nymphe.
Quelle injustice ! Si seulement c’eut été lui à la place de cet obscène personnage, il aurait rendu la jeune fille si heureuse, il aurait tellement mieux profité de l’occasion ! Finalement, il se terminera le cœur battant, confiant pour l’avenir, prêt à faire ses preuves, attendant sa chance.
Ah, si seulement on lui en donnait l’occasion…
Et puis un jour, l’occasion est là.
Le puceau se retrouve face à ce moment qu’il a tant attendu. Cela fait des années qu’il en rêve, et la délivrance est enfin là, devant lui. Il se sent confiant bien que stressé, il a révisé, il sait quoi faire. On fait toujours comme ce qu’on a vu dans un Dorcel, même si on se rend compte que finalement, c’est pas si évident que ça en fait. La suite varie en fonction des cas, mais la fin reste la même, heureuse : ce qui devait arriver arriva.
Et maintenant quoi ?
Ben maintenant, on compare.
A moins de mener une vie sexuelle Sifreddiesque jusqu’à la fin de son vit, le mec va forcément se re-masturber à un certain moment.
Mais c’est plus la même chose. A peine l’engin est-il en main que l’on se rend compte de la tristesse de la situation et que l’on pourrait être en train « de le faire vraiment », ce qui serait quand même bien plus sympa. Mais bon, pour le moment, on n’a que(ue) ça sous la main, en attendant que ça aille mieux, et on doit donc faire avec.
La masturbation est là pour combler un manque, mais ça ne suffit pas, on en veut plus et on regrette de ne pas vivre l’étreinte, la vraie, pour toujours.
On se retrouve désormais prisonnier de nos souvenirs chaque fois le manche en main.
Ca nous rappelle comment c'était "en vrai", et au final c’est pas la joie.
Fin Juin 2002, je me retrouvai dans un avion traversant l’Atlantique afin de passer un énième été de plus en Californie, et, en switchant entre les différentes chaines de film offertes par Air Tahiti Nui je tombai sur l’Auberge Espagnole, fraîchement sorti en salles en France et que je n’avais aucune envie particulière de voir, étant pour moi une sombre production française synonyme d’ennui ( à 15 ans j’étais pas à fond sur Klapisch disons). Seulement je ne sais pas comment ni pourquoi je décidai de le regarder, de l’adorer, et une fois arrivé à l’aéroport de L.A. en appelant ma mère pour lui dire que j’avais atterri, je lui dis
« il faut absolument que vous alliez voir ce film avec papa ».
A ce moment là commença mon fantasme. Erasmus, le truc de ouf.
Les années suivantes furent suivies d’une masturbation mentale frénétique de ma part avec pour support ce film dont le personnage principal est quand même un plouc, faut l’avouer.
J’appris le film par cœur au fil du temps, je croyais savoir ce qu’était Erasmus, j’étais persuadé de mieux faire que ce tocard de Xavier, il fallait juste que l’on me donne ma chance.
Et puis c’est arrivé.
A Paris7, personne ne voulait de Prague, mais Prague voulait de moi.
Tous ces moutons se piétinaient pour partir en Angleterre ou en Espagne.
La première destination parce qu’ils voulaient aller « en Angleterre pour parler Anglais ».
Ouais, parce que les Erasmus à Bucarest ils parlent tous roumain t’as vu.
La seconde parce que… ben parce que ils se sont branlés, comme moi, sur l’Auberge Espagnole, sauf qu’ils ont dû y aller un peu plus fort et ont voulu faire comme Xavier. Moi aussi il y a deux ans, j'ai voulu aller à Séville, motivé par ce vieux con mais surtout pour suivre mon ex qui me quittait à l’époque.
C’est quand même révoltant que l’Espagne soit devenue la destination préférée des étudiants Français en Erasmus APRES la sortie du film.
Bref.
En Juin dernier, fini la branlette, mon heure était venue.
Je n’avais rien vu venir, tout comme ma première fois.
Dans un geste désespéré motivé par la vision affreuse de devoir passer une année de plus à Paris, je me présentai au Bureau des Relations Internationales de P7 prêt à partir n’importe où pour échapper à la tristesse de l’Ile-de-France. Une vraie prostituée.
On me dit que personne n’avait demandé à partir à Prague, qu’il restait également de la place en Italie, mais que tout le monde se tapait dessus pour le Royaume-Uni et l’Espagne.
Tant mieux, ça me facilitait les choses.
Rome, Berlusconi ? Très peu pour moi, je connaissais déjà.
Prague ? Heu, attends, y’a pas un délire avec le printemps là j’sais pas quoi ? Vas-y ça a l’air funky, c’est où qu’il faut signer ?
La décision avait été prise en quelques secondes à peine devant l’ouverture qui se présentait à moi, et je me décidai à faire le grand saut avec mon comparse Titi.
Confiant, mais stressé.
L’inconnu n’allait plus l’être.
Mon fantasme allait se réaliser.
Mais aujourd’hui, avant même que j’aie eu le temps de le m’en rendre compte, tout est fini.
La page est tournée, et elle s’est avérée être bien courte.
Je hais Klapisch.
Je le hais pour trois raisons :
La première est qu’après avoir vécu Erasmus, je me suis rendu compte à quel point son film était un ramassis de clichés faciles.
La deuxième est qu’après avoir vécu son film, je me suis rendu compte à quel point il avait raison.
Et la troisième est qu’après avoir vécu Erasmus et vu son film, je me suis rendu compte à quel point l’un et l’autre auraient dû durer plus longtemps, et qu’ils ont fait de moi un éternel insatisfait.
Aujourd’hui, ses deux films sont les pornos de mon cortex préfrontal.
Ils sont mes souvenirs, mon support masturbatoire. Ce sont des films qui ne me satisfont plus, qui m’énervent de par leurs lacunes, de par leur volonté d’amuser le spectateur et de lui imposer une vision d’Erasmus.
« Erasmus c’est la glande » qu’ils crient et affirment sur tous les toits.
Ben ouais connard, et alors, tu crises ?
Une bande de gens avançant des avis établis en regardant deux pauvres films qui clament résumer l’expérience personnelle inoubliable d’un étudiant à l’étranger : voilà ce qu’a produit Klapisch. Un peuple entier considère comme une blague ce qu’est l’expérience et l’invention la plus extraordinaire de l’Europe, celle qui a réussi à concilier les études gratuites et la découverte d’autrui et de soi.
Mais ce n’est pas la faute à Klapisch. Ses films sont pleins de bonne volonté et excellents, et survolent relativement bien une année Erasmus pour qui ne connaît pas.
Sans lui, je ne serai probablement jamais parti, et je lui serai éternellement reconnaissant, bien qu’il s’en touche les burnes.
Mais si l’on devait ne retenir qu’un seul plan du film, c’est bien le dernier : le moment ou Xavier réalise qui il est vraiment, ce qu’il cherche à faire, ou à devenir.
Outre le fait que l’on découvre une quantité incroyable de choses, on se découvre soi-même et sa place dans le Monde, ou du moins en Europe.
Malheureusement les spectateurs retiennent la fête et les filles, ça leur convient bien, ça les amuse; les spectateurs ne comprennent pas au delà et ne comprendront jamais.
C’est pour ça que nous, étudiants Erasmus, devons encourager ceux qui le peuvent à partir également.
C’est là la seule raison d’être de ce blog, qui n’aura eu qu’une courte vie dont il voit déjà venir la fin.
Et, comme avant de partir, j’ai toujours ce connard de Xavier en tête.
Je me vois déjà vagabonder dans Paris en essayant de me convaincre que finalement, ici aussi c’est pas mal ; je me vois passer près d’un groupe de jeunes assis à un café-terrasse, deviner leur nationalité à la manière dont ils charcutent l’Anglais, et ne trouver rien d’autre à leur dire que
« Erasmus ? »